Les contes macabres - extraits
Mes promenades vagabondes au milieu de tableaux de ce genre ont été nombreuses, singulièrement curieuses, souvent solitaires ; et l'intérêt avec lequel j'ai erré à travers plus d'une vallée profonde et sombre, ou contemplé le ciel de maint lac limpide, a été un intérêt grande accru par la pensée que j'errais seul, que je contemplais seul.
Il y a dans l'amour désintéressé d'une bête, dans ce sacrifice d'elle-même, quelque chose qui va directement au cœur de celui qui a eu fréquemment l'occasion de vérifier la chétive amitié et la fidélité de gaze de l'homme naturel.
L’expression des yeux de Ligeia ! Combien de longues heures ai-je médité dessus ! Combien de fois durant toute une nuit d’été, me suis-je efforcé de les sonder ! Qu’était donc ce je ne sais quoi, - ce quelque chose plus profond que le puits de Démocrite, - qui gisait au fond des pupilles de ma bien-aimée ? Qu’était cela ? J’étais possédé de la passion de le découvrir. Ces yeux ! ces larges, ces brillantes, ces divines prunelles ! elles étaient devenues pour moi les étoiles jumelles de Léda, et moi j’étais pour elle le plus fervent des astrologues.
Bérénice et moi étions cousins, et nous grandîmes ensemble dans le manoir paternel. Mais nous grandîmes différemment, - moi, maladif et enseveli dans ma mélancolie ; - elle, agile, gracieuse et débordante d'énergie ; à elle, le vagabondage sur la colline ; à moi, les études du cloître ; moi, vivant dans mon propre cœur et me dévouant, corps et âme, à la plus intense et à la plus pénible méditation, - elle, errant insoucieuse à travers la vie, sans penser aux ombres de son chemin ou à la fuite silencieuse des heures au noir plumage.