Le chant des orques - extraits
Une deuxième orque s’est approchée du bateau, tandis que les trois autres restaient à une distance prudente. La lumière du soleil formait de petits arcs-en-ciel dans le souffle des animaux. Des couleurs incroyables chatoyaient dans l’air. Mon corps vibrait de joie et d’excitation ; mon mal de mer avait bel et bien disparu.
Au début tu es déçu, parce que tu t'imaginais autre chose. Et si tu ne te donnes pas la peine de regarder au-delà de la façade, tu es déçu. Il faut faire un peu d'efforts parfois, pour découvrir ce qui est beau.
Les limites de ton imagination sont les limites de ton monde, a dit quelqu'un. Mon monde est grand.
Nos ancêtres racontaient que les baleines tueuses venaient parfois sur la terre ferme et se changeaient en loups.
Au cours des trois dernières semaines, Javid m'avait ouvert beaucoup de portes, qui donnaient sur une pièce obscure où je m'étais enfermée moi-même. Il était simplement venu à moi, sans frapper, sans poser de questions, et il avait allumé la lumière de la pièce. Chaque fois que j'avais regardé à travers une de ces portes, mon regard sur le monde avait été différents. Et j'avais changé à mon tour.
_ J'aurais dû naître baleine, ai-je réfléchi à vois haute. Leur vie est bien plus simple que la nôtre.
_ Je ne crois pas, Copper. Notre monde change et le leur aussi. Et, comme nous, les orques doivent s'adapter à ces changements. Elles doivent lutter pour se nourrir et elles ont des problèmes avec la pollution de la mer. A mon avis, leurs soucis sont aussi importants que les nôtres.
_ Oui, tu as raison, ai-je soupiré.
_ J'aimerais bien ne pas avoir à rentrer à Berlin, ai-je murmuré, abattue.
_ Tu peux revenir.
Je l'ai regardé tristement. Il a secoué la tête et a ri de ma mine.
_ Je parle sérieusement, Copper! Reviens l'été prochain. Tu pourras habiter chez moi, il n'y aura que le vol à payer. J'irai te chercher à l'aéroport de Seattle, cinq heures de route ce n'est rien!
_ Mon père ne voudra jamais, ai-je rétorqué, soucieuse.
_ Mais tu peux quand même essayer, non?
Je lui ai jeté un coup d’œil en biais.
_ Tu penseras encore à moi, dans un an?
_ Bien sûr, a-t-il répondu sans réfléchir. Je penserai toujours à toi.
Il s'est penché vers moi et m'a donné un long baiser.
Nous nous sommes dit au revoir devant sa chambre. Il a essayé de m'embrasser encore, mais j'ai détourné la tête.
_ Pourquoi? Je ne te plais pas?
_ Si, ai-je répondu vivement, mais...
_ C'est bon.
Il m'a fixé de ses yeux noirs, sans un sourire.
_ Je te ferai un tableau, ai-je promis.
_ Oui, ce serait bien. A demain, Copper.
_ A demain.
_ Les orques qui vivent en grands bancs sont appelées des résidents, tandis que celles-ci sont des transients, des nomades, a répondu l'oncle de Javid. Autrefois, les gens pensaient que ces petits groupes étaient formés d'exclus mais, depuis, on sait que ce sont des chasseurs intelligents, qui s'attaquent à d'autres proies que des bancs de poissons. Ils chassent les phoques, les lions de mer, et parfois les grandes baleines. Les langues de baleine grises font leur délice.
_ Les orques ont-elles des ennemis naturels, dans la mer? a-t-elle demandé d'une voix criarde.
Soones a secoué la tête.
_ Non, madame. On ne les appelle pas pour rien les baleines tueuses. Les orques sont les maîtres de l'océan et comptent parmi les prédateurs les plus puissants de la terre. Parfois, elles s'en prennent aux baleines bleues, même si elles sont beaucoup plus grosses qu'elles. Elles en encerclent une et lui arrachent des morceaux de chair jusqu'à ce qu'elles soient rassasiées. Les orques ne craignent rien, ni personne. Il n'y a que les hommes qui puissent les menacer.
Nous avions évoqué nos adieux. Maman avait essayé de m'y préparer et je m'étais montrée formidablement courageuse. Mais quand c'est arrivé, je n'étais pas prête du tout. Comment peut-on être prêt à quitter quelqu'un qu'on aime?
"Aucun mot ne peut décrire le caractère envoûtant du chant des baleines; ce son, parvenu en des millions d'années à une pureté inégalable, les gens devraient l'entendre chaque jour afin qu'il leur rappelle le matin de la création."