L'Oeil du Loup - extraits
Le loup est affreusement mal à l'aise. Pour rien au monde, il ne détournerait la tête. Pas question de se remettre à marcher. Résultat, son œil s'affole de plus en plus. Et bientôt, à travers la cicatrice de son œil mort, apparaît une larme. Ce n'est pas du chagrin, c'est de l'impuissance et de la colère.
Alors le garçon fit une chose bizarre. Qui calme le loup, qui le met en confiance. Le garçon ferme un œil.
Et les voilà maintenant qui se regardent, œil dans l’œil, dans le jardin zoologique désert et silencieux, avec tout le temps devant eux.
Le pelage du loup frôle le grillage. Ses muscles roulent sous sa fourrure d'hiver. Le loup bleu marche comme s'il ne devait jamais s'arrêter. Comme s'il retournait chez lui, là-bas, en Alaska. "Loup d'Alaska", c'est ce qu'indique la petite plaque de fer, sur le grillage. Et il y a une carte du Grand Nord, avec une région peinte en rouge, pour préciser. "Loup d'Alaska, Banner Lands...
Œil dans l’œil, tous les deux. Avec le grondement de la ville en guise de silence. Depuis combien de temps se regardent-ils ainsi, ce garçon et ce loup ? Le garçon a vu le soleil se coucher bien des fois dans l’œil du loup. (...) La nuit tombe alors dans l’œil du loup. Elle brouille d'abord les couleurs, puis elle efface les images. Et la paupière du loup glisse enfin sur cet œil qui s’éteint. Le loup reste là, assis face au garçon, bien droit.
Mais il s'est endormi.
Alors le garçon quitte le zoo, sur la pointe des pieds, comme on sort d'une chambre.
Un œil jaune, tout rond, avec, bien au centre, une pupille noire. Un œil qui ne cligne jamais. C'est tout à fait comme si le garçon regardait une bougie allumée dans la nuit; il ne voit plus que cet œil : les arbres, le zoo, l'enclos, tout a disparu. Il ne reste qu'une seule chose : l'œil du loup. Et l'œil devient de plus en plus gros, de plus en plus rond, comme une lune rousse dans un ciel vide, avec, en son milieu, une pupille de plus en plus noire, et des petites taches de couleurs différentes qui apparaissent dans le jaune brun de l’iris, ici, une tâche bleue (bleue comme l’eau gelée sous le ciel) là, un éclair d’or, brillant comme une paillette.Mais le plus important, c’est la pupille, la pupille noire !
-Tu as voulu me regarder, eh bien regarde-moi !
…Et c’est quand tout est devenu noir, absolument noir, qu’il découvre ce que personne n’a jamais vu dans l’œil du loup : la pupille est vivante…